Droit de réponse
Copwatch: ce qui se dit, ce qu’on en pense !
On a entendu parler de nous sur France Culture [1] où Jean-Marc Manach était interviewé sur la question du copwatch le 29 décembre. Entretemps on a pu lire un certain nombre de commentaires à notre Chronique du 7 janvier. Et du coup ça nous a donné envie de répondre à quelques remarques qu’on entend souvent concernant notre action et pour lesquelles on a envie de donner notre vision personnelle des choses.
Sur la question du « bon flic » à dissocier du « mauvais flic »
On entend souvent comme remarque : « je comprends ce que vous faites mais on ne peut pas mettre tous les flics dans le même panier, y’en a des corrects aussi, des sympas qui sont VRAIMENT au service de la population.
A vrai dire, on a pas envie de rentrer dans ce débat-là, tous les flics ont un préfet au-dessus d’eux qui leur donne des ordres et auxquels ils obéissent, certains à reculons, d’autres à cœur joie, en y ajoutant leur touche personnelle. Ce qu’on montre avant tout c’est le résultat d’une politique sécuritaire qui pousse le flic à faire un sale boulot parce qu’il a des chiffres, des ordres, une hiérarchie, etc. Avec cette logique-là on sait où on va : en 61 ça a fini à la Seine avec des dizaines de corps d’algériens tabassés à mort et jetés à l’eau des ponts de Paris par les « gardiens de l’ordre ».
Autres temps, autres mœurs ? Eh bien on aimerait y croire mais il ne se passe pas une semaine sans qu’on titre un mort, un coma, une bavure grave de la police, et ce sur tout le territoire, pas à un endroit unique, une zone, sous une seule préfecture. Le bon flic on l’a jamais vu tendre la main pour dire à son collègue de se calmer, on a surtout vu des flics s’émuler en groupe et s’exciter en connivence parfaite pour jouer de la matraque. A la limite il y en a un de la bande qui a l’air de se tortiller sur place et qui regarde un peu ailleurs, mais ce qu’on a chaque semaine depuis plusieurs mois dans notre champ de vision, c’est un joli défilé de têtes de flics qui s’en prennent aux pauvres à Barbès et Belleville sans jamais un geste d’hésitation, juste parfois un flottement face à la vanité de leur tâche, quand ça se déroule pas comme prévu.
On a envie de dire que le « bon flic » c’est celui qui ne finit pas son école de police parce qu’il a compris qu’on lui enseignait à sévir, à être garant du pouvoir et non pas gardien de la paix comme c’était écrit noir sur azur dans la brochure de papier glacé qu’il a signée ; c’est celui qui démissionne quand il se rend compte qu’il passe ses journées à faire du chiffre, à traquer des sans-papiers, expulser des squats, réprimer des gens qui manifestent, dire aux gens de ne pas faire de bruit, de ne pas vivre trop fort, de pas faire ceci ou cela parce qu’il y a une loi liberticide qui sort chaque mois, ou simplement de passer des heures à auditionner des gens arrêtés pour tout et n’importe quoi par des collègues en manque d’action.
Bref, sans caricaturer, on n’est pas loin de la réalité qui fait que pas mal de flics se tirent une balle ou se font radier quand ils disent que le STIC est un fichier abusif qui contrevient aux libertés (l’affaire du Commandant Philippe Pichon en 2008). Restent les mauvais flics, les frustrés qui se sont fait une raison, les nerveux qui ont une vision bourrée de préjugés sur ce que devrait être la société et qui insultent à gogo, les fachos qui cognent parce que ça évite les récidives, les pâlots qui suivent parce que les ordres c’est les ordres, qu’ils ne sont « pas payés pour réfléchir » (dixit un CRS au sommet de l’OTAN à Strasbourg quand on lui demande s’il ne trouve pas la situation absurde). Et on en passe : leurs photos sont sur les miroirs de Copwatch-nord-idf, vous les reconnaîtrez en les croisant …
Le copwatch c’est « regarder sans agir »
Déjà il n’y pas UN ou LE copwatch, il y a des copwatcheurs qui n’ont pas tous la même pratique, pas tous les mêmes idées, la même façon de communiquer. On va donc répondre pour ce qui nous concerne à Barbès et Belleville.
Aux USA le copwatch est presque une institution à certains endroits, avec un code de conduite, des lignes de démarcation, des règles : « tu n’interfères pas, tu n’y vas pas seul, etc. »
Eh bien nous on n’a pas tout ça : des principes de fonctionnement on en a toujours quand on veut rester discret et quand on risque la répression, ça oui. Mais on ne fait pas que regarder et on n’agit pas non plus systématiquement, question de pertinence, de contexte et de sentiments : on est pas des citoyennistes constitués en assoc., on est plusieurs individus avec des façons de ressentir et d’appréhender les choses différemment, et à ce titre certains d’entre nous vont s’interposer, crier, filmer, photographier, noter, observer, selon les moments, selon les effectifs présents, le ressenti. Mais un principe qu’on ne perd jamais de vue c’est celui de ne jamais agir dans un sens qui puisse faire du tort aux biffins, parce qu’on est là pour qu’ils ne soient plus les victimes invisibles d’un racket et d’un ratonnage hebdomadaire par la police.
Faire du copwatch c’est déjà agir : ça fait hésiter les flics qui sont devenus beaucoup plus discrets, rapides, fugitifs et paranos depuis qu’ils savent qu’on a l’œil sur eux. On a vu apparaître les capuches, on voit les regards inquiets qui balaient le marché à la recherche de ceux qui les observent. On témoigne aussi d’une réalité qui n’existerait que pour les biffins si on ne la décrivait pas chaque semaine. Et puis surtout ça crée des liens avec ceux qui sont victimes des violences et qui nous rapportent de nombreux témoignages, par le bouche à oreille, jour après jour. On entrevoit quelque chose de bien plus vaste que des incidents isolés : on se rend compte que c’est généralisé, qu’il y a une politique à l’Intérieur qui veut ça, qui provoque ça (si on en doute, il suffit d’écouter Claude Guéant).
« Vous êtes irresponsables, c’est une incitation à s’en prendre aux policiers »
Qui s’en prend à qui, on se le demande ? Ça rappelle une petite anecdote bruxelloise où durant le campement autogéré No Border d’octobre 2010, les flics d’Anvers avaient arrêté frénétiquement les militant-e-s, préventivement, les avaient gardé-e-s 12h dans des cellules, tabassé-e-s, humilié-e-s, attaché-e-s à des radiateurs, mimé des viols sur les filles, insulté, provoqué [2] . Et quand certains avaient osé manifester ou faire mine de porter plainte, on a retrouvé 200 flics devant le tribunal de Bruxelles pour manifester contre les violences occasionnées aux flics. C’est l’hôpital qui se fiche de la charité ! Pour le moment la seule chose que les policiers aient eu à déplorer du copwatch c’est la cartouche que l’un d’entre eux à reçu dans une enveloppe (et qu’il a très bien pu déposer lui-même dans sa boîte aux lettres). [3]
Par contre des victimes des violences policières on en compte pas mal chaque jour, là où personne s’en préoccupe ou n’est là pour le voir et en parler, dans les affaires classées sans suite par l’IGS, dans nos camescopes …
Le journaliste de France Culture (vous remarquerez qu’il a visiblement déjà une vision préconçue des choses et une orientation très lénifiante, paternaliste, moralisatrice de ses questions) qui interroge J-M Manach lui demande à un moment s’il ne pense pas que notre action accentue encore la haine du policier.
Une anecdote n’est pas de trop pour lui répondre : une amie enseignante nous a raconté comment une policière qui vient faire la sécurité routière avec son flingue (normal lui ont dit ses collègues : « ça fait partie de sa fonction ». no comment) demande aux élèves de collège ce qu’ils pensent de la police ; ils répondent à l’unanimité « elle nous fait peur ». Alors la question est « est-ce qu’on est responsables de la sale réputation des flics ou bien est-ce qu’ils devraient pas se remettre sérieusement en question sur leur métier et sur ce qu’on leur fait faire ? On a entendu un policier lors d’une interpellation dire « de toutes façons, quoi qu’on fasse on nous déteste toujours, alors comment vous voulez qu’on réagisse ? ». En poussant et en gueulant fut la réponse donnée quelques secondes plus tard …
A Calais, lors de l’évacuation de la « Jungle », un tract du syndicat de police Alliance était sorti a posteriori pour protester contre les conditions dans lesquelles les flics avaient dû intervenir (35h de service d’affilée sans grand chose à grailler) [4]. Peut-être que finalement on est bien plus sympas en les traitant de tous les noms que leur hiérarchie qui les traite comme du bétail et les forme au lance-pierre (dans tous les sens de l’expression).
On est pas là pour éduquer la police et on en a pas du tout, mais alors pas du tout du tout, envie. On dénonce ce qu’ils sont, ce qu’ils font, l’Etat qu’ils représentent et tout le dispositif policier (qui sert juste à maintenir un système de pouvoir et d’argent qui criminalise la pauvreté, les étrangers, les gens qui ne pensent et n’agissent pas dans les lignes de démarcation de la loi et de l’ordre, tel que pensé et institué par les mêmes qui en retirent les dividendes).
La Police Nationale remplit de plus en plus la fonction de ces mercenaires qui en Irak veillent au grain des entreprises pétrolières : ils sont les exécutants de la politique du chiffre qui rapporte du vote et du chiffre, qui remplit les poches des industriels de la sécurité et de leurs copains politiques mafieux (Sarko, Bauer, Guéant &co) . Ils sont les fers de lance de la politique de gentrification des villes, les expérimentateurs du concept de prévention situationnelle vendu à qui mieux mieux par Alain Bauer, le monsieur sécurité de Sarkozy qui est l’auteur de tous les plans de videosurveillance, LOPPSI, prévention situationnelle, Livre blanc de la sécurité, bref tout ce qui fait vendre de la sécurité avec les deniers des collectivités locales et de l’État. [5]
Mais enfin, on peut pas faire justice soi-même, sinon c’est l’anarchie
Précisément ! C’est bien de l’anarchiSME, mais pas au sens où on l’entend communément ; au sens politique, au sens historique du terme. On fonctionne sur un mode horizontal, autogestionnaire sans structure ni manuel, sans étiquette ni couleur, juste la somme de toi, toi, toi et moi. Nous ... (et vous ?)
On ne fait pas justice, on regarde, on réagit, on témoigne de ce qui nous révolte, ce qui nous remue, ce qui nous attriste et ce qui vous concerne, selon nous.
Et puis si on veut jouer sur les mots, nous surveillons les surveillants, c’est un concept théorisé avec brio par les amis de M. Guéant, le principe du panoptique ou chaque citoyen devient le flic de son voisin pour un contrôle social fondé sur la délation, la parano, la défiance et la dissuasion (de vivre). Mais nous on surveille juste ceux qui surveillent et ils n’aiment pas ça, ils nous le disent, ils nous le crient à la figure et ils nous le font sentir. On inverse juste le rapport qui nous place sous les 60 000 yeux des caméras d’Alliot Marie, à portée de la moindre erreur de jugement ou du moindre dérapage nerveux de flic frustré et rongé de l’intérieur par mille complexes et rancoeurs additionnés avec le temps et les années de terrain.
En tous cas on remercie M. Guéant pour sa haute conception de la justice, de là où le bras séculier doit sévir pour rétablir l’ordre juste des choses : grâce à son action de censure du site Copwatch-nord-idf, c’est un peu comme s’il avait mis un coup de pied dans une fourmillière, on entend parler d’autres régions de France où l’idée fait son chemin et on peut se prendre à rêver de copwatcheurs qui se multiplient comme aux États-Unis ou près de 80 groupes existent.
En tous cas si on devait tomber, comptez sur nous pour nous faire justice, on tombera pas tout seul, ça c’est certain !
[1] http://www.franceculture.fr/emissio...
[2] http://paris.indymedia.org/spip.php...
[3] http://www.paris.maville.com/actu/a...
[4] http://probe.20minutes-blogs.fr/med...
[5] lire Mathieu Rigouste "LesMarchands de Peur"
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