Thursday, November 17, 2011

boudiou records e-label no profit de normandie

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>INTERVIEW FELIX CASTAN


L'écrivain et poète occitan Félix Castan s'est éteint à l'hôpital d'Agen au mois de janvier 2001. Ardent défenseur de la langue occitane et surtout grand théoricien de la décentralisation multiculturel en France, la vie de Félix Castan s'illustre par de nombreuses pratiques intellectuelles (colloques, revues, poèmes, expositions d'art contemporain…) et par un engagement de tout les instants dans une lutte pour l'émancipation des individus et des cultures. Dans sa jeunesse, il participe aux combats de la pointe de Grave contre l'occupant nazi. Militant occitan radical mais anti-nationaliste et anti-régionaliste, membre du Parti Communiste Français, mais anti-centraliste, Félix Castan n'était pas homme à se laisser porter par le courant. Castan. Il disparaît, au moment même où sa pensé novatrice commence à peine à être reconnue comme elle le mérite. Castan nous quitte, mais son œuvre reste plus que jamais vivante : de l'Avignon d'André Benedetto à l'Uzeste de Bernard Lubat, du Toulouse des Fabulous Trobadors et de Zebda au Marseille du Massilia Sound System…


Boudiou Records : Peux-tu nous raconter ta jeunesse et ce qui t'a conduit à ton engagement militant ?

Castan : J'étais fils de fonctionnaires. J'ai habité Moissac et ensuite Montauban. Mon père était ingénieur en travaux publics et ma mère professeur de français. Par conséquent, il n'était pas question de parler occitan. Mais mon père parlait occitan à sa mère. Je n'ai jamais entendu parler mon père en français quand il parlait à ma grand-mère. Ensuite j'ai fait des études comme tout le monde, puis j'ai passé le Bac. Après, on m'a expédié à Paris pour préparer normale supérieure au Lycée Louis Legrand. Au bout d'un an et demi, j'ai eu une maladie bienheureuse qui m'a ramené chez moi et là, j'ai découvert un autre monde. Ce monde que j'aurais dû connaître étant enfant et bien je l'ai revu sous un autre angle. Mais surtout, j'ai découvert une autre littérature. J'ai découvert la littérature occitane en 39 et j'ai été surpris. Pour moi le grand choc de ma vie, c'est d'avoir découvert une autre littérature en France. Je me suis rendu compte que la littérature française n'était pas la seule manière de s'exprimer en France et qu'il y avait une autre langue, une autre littérature. Pendant longtemps je me suis interrogé pour savoir si elles étaient de même niveau. Le fait que l'occitan soit une langue populaire, ça je le savais depuis l'enfance, je l'avais toujours entendu. Autour de moi, j'entendais parler occitan… Mais de là à y trouver une littérature authentique et un grand pôle culturel, ça m'a paru surprenant et j'ai mis longtemps à me persuader que je ne me trompais pas. Au moment ou je découvrais ça, je venais de quitter Paris parce que j'étais malade et je voyais que j'étais coupé de la vie culturelle parisienne. Je me suis senti complètement enterré et ça m'a amené à des réflexions. Je me suis dit : "voilà une nation qui est mal faite, puisque tous les citoyens n'ont pas le droit de participer à la vie culturelle". J'ai donc découvert qu'il y avait un grand problème national. C'est le problème de la centralisation qui fait que toute la culture est en un point et nul part ailleurs. C'est un scandale inouï. C'est un scandale humain, c'est un scandale de toute sorte. En même temps que je faisais cette expérience, j'ai trouvé la solution. J'ai lu une littérature qui me donnait l'impression qu'il y avait peut-être la possibilité de créer une dialectique entre deux pôles. Et je me suis dit que la décentralisation n'aurait pas lieu, malgré toutes les bonnes volontés que l'on peut avoir, si elle ne prenait pas appui sur des cultures et des langues halogènes, d'un autre passé. Mon idée était de provoquer l'émergence d'une décentralisation réelle, en s'appuyant sur la culture occitane.

Boudiou Records : C'est à ce moment là que tu as commencé à accorder une très grande importance à la culture occitane.

Castan : Ca fait 60 ans, que je suis convaincu que la littérature occitane a une mission en France, ce que beaucoup de militants occitans ont du mal à admettre. Ils ne veulent pas que leur langue, que leur littérature, que leur culture, ait une mission pour la France. Ils veulent qu'elle ait une mission pour eux. Cette sorte de pensée nationalitaire occitane est une impasse totale. Je pense plutôt que la littérature et la culture occitane, sont des leviers pour transformer la nation française. Je me suis donc dis qu'il fallait absolument se jeter dans la lutte pour la littérature et la culture occitane. Pour ça, il fallait que je me perfectionne linguistiquement et je suis devenu ouvrier agricole pendant deux ans, pour me perfectionner dans la langue d'Oc. Pendant deux ans, je n'ai pas dis un mot de français, je me suis rempli littéralement. J'étais dans la situation d'un enfant qui apprend à parler. Donc, c'est devenu ma deuxième langue. Si je n'avais pas fait ça, ce ne serait pas ma langue. Seulement, ce qu'il faut savoir, par ailleurs, c'est que la culture occitane, a été tellement refoulée, a tellement été tenue méthodiquement sous le boisseau, par la nation française, qu'il faut tout ressortir du néant. Il faut donc l'étudier, la réévaluer, aller la chercher dans les bibliothèques… Ca demande une vie, c'est un travail énorme. J'ai passé ma vie à chercher à comprendre ce qui s'était passé. Par exemple, à faire émerger une littérature du 17ème siècle que personne, même parmi les occitans, ne lisait plus. Seule, la littérature des troubadours avait été exhumée dans les débuts du siècle comme ça. On disait que la littérature des troubadours était importante sans qu'on puisse comprendre comment ils avaient transformé la vie de l'amour, comment ils avaient constitué la poésie occidentale. Je me suis trouvé en face d'une autre époque, celle du 17ème siècle, qui était absolument ignorée. J'ai été frappé par cette époque baroque et j'ai fait un centre baroque, ici à Montauban, pour étudier cette conscience et cette civilisation. Dans cette perspective, j'ai pu étudier en même temps, la littérature et la culture occitanes, en étudiant des philosophes, des écrivains, des musiciens, des peintres, des sculpteurs… La référence au baroque est très intéressante, parce que c'était l'époque de la multipolarité. Il y avait des capitales et puis les œuvres elles-mêmes étaient multipolaires et jouaient sur les contradictions. J'ai également étudié la littérature contemporaine pour en comprendre les perspectives. Je me suis consacré à l'étude de tout ça toute ma vie. Actuellement, nous avons une très grande carence en Occitanie du point de vue critique. C'est à dire qu'il y a une création tout à fait extraordinaire et extrêmement importante. Il y a une vingtaine de romanciers, des gens qui font du théâtre, de nombreux poètes, des essayistes… Il y a une littérature complète. Mais si nous voulons qu'un autre pôle apparaisse en face de Paris, ça demande une vision globale pour mettre tout ça en évidence. C'est notre travail. Ce n'est donc pas seulement une revendication linguistique qui est capable de nous sauver. Mon orientation personnelle c'est ça, il faut que sur le support linguistique, il y ait une culture et un dialogue avec Paris, au plus haut niveau culturel. C'est à dire qu'on sache qu'il y a en face de Paris, d'autres capitales. Voilà qu'elle est ma ligne de conduite.

Boudiou Records : C'est à partir de tes recherches que tu as commencé à théoriser tes idées anti-centralistes.

Castan : Le Centralisme a fait des ravages partout. On le voit certainement en Normandie j'imagine ! On voit la difficulté qu'on a pour monter quelque chose qui tienne la route. En face de Paris, qu'est-ce qui tient le coup ? Rien n'existe en face de Paris. Tout est détruit. Il n'y a qu'une chose que Paris ne peut pas nous voler, c'est la langue, une littérature autre. A partir de là, on peut bipolariser, multipolariser, pluraliser la vie culturelle pour la France. C'est sur cette intuition que j'ai bâti ma vie. Et il me semble que c'est une intuition qui reste toujours vivante. Actuellement, je n'ai pas abandonné cette idée. Mais ce qui m'a surpris, c'est que je croyais que c'était une idée tellement évidente, qu'en l'espace de quelques années, on la ferait triompher. En fait, ça fait 60 ans que je me bats et je n'ai pas réussit à la faire fructifier. Mais il faut prendre conscience du fait que la structure d'une nation, c'est quelque chose de terriblement résistant. On ne la change pas comme ça en parlant. Ce n'est pas suffisant. Il faut des alliances, c'est compliqué.

Boudiou Records : Pendant une quinzaine d'années, tu as organisé un grand salon d'art contemporain "la Mostra del Larzac" qui rassemblé de nombreux plasticiens occitans. Peux-tu nous en parler ?

Castan : Pour la Mostra del Larzac, on a travaillé presque dans la solitude. Pendant quinze ans, on a rassemblé des peintres occitans, c'est-à-dire de l'étendue territoriale de la langue d'Oc. Parce que quand tout est envoyé à Paris et on ne voit pas les différences. Alors c'est comme ça que nous avons réussi, en réfléchissant à tête reposée pendant trois mois chaque année, à repérer les grandes tendances qui se manifestaient dans le sud. Il y avait déjà les tendances qui sont maintenant bien connues : l'école de Nice, Support-surface qui était de Montpellier et le groupe de la figuration libre. Il y a eu aussi trois autres tendances qui n'ont pas fait de percées internationales, mais qui n'en sont pas pour autant moins intéressantes. Il y a eu la tendance abstraite à Toulouse, très intéressante et très nombreuse, seulement, ce n'était pas la mode de l'abstraction. Il y a eu une autre tendance à Bordeaux qui s'appelait "7 contrats" et qui a disparu. Mais il y a des suites qui font qu'il y a une certaine cohérence à travers plusieurs générations dans les arts plastiques bordelais. On a du mal à leur faire comprendre parce que les peintres ne sont attentifs et ils ont raison, qu'à ce qui les différencie individuellement. Mais il y a aussi des choses qui les relient collectivement et ça ils s'en foutent. Il faut que quelqu'un le leur dise et leur mette le nez dessus. Enfin il y avait une autre tendance à Limoges avec des gens qui sont connus avec par exemple Coco, Rabérol… Des gens pour qui la réalité est une vraie réalité. Ce que nous avons repéré et que nous avons mis en évidence, ce n'est pas une tendance qu'on invente comme une machine, c'est la réalité qu'on reçoit en plein dans la gueule. Ce système de tendance n'est pas coupé de tout ce qui se passe ailleurs, mais il constitue un pôle dans lequel il existe un système de contradiction. D'ailleurs, à la Mostra del Larzac, on faisait les accrochages non pas par affinité, mais au contraire par contradiction. On faisait lutter les peintres entre eux. Et alors, ça leur donnait une vertu extraordinaire. Il n'y avait pas d'autres moyen pour présenter la diversité des œuvres que nous avions. Par affinité, on n'y comprenait rien, alors que par la contradiction on y arrivait.

Boudiou Records : Est-ce que tu penses que les idées anti-centralistes que tu défends ne touchent que le champ culturel ou qu'elles peuvent aller vers un projet global de société ?

Castan : Ma position, c'est qu'il faut distinguer les questions politico-économiques et les questions culturelles. Je pense que dans le domaine économique, se sont les régions qui doivent être responsables. Le travail d'une région, doit être de faire apparaître les problèmes spécifiques de la région, mais elle a besoin de s'intégrer à la vie nationale. Par conséquent, il me semble que ce principe de gestion régional doit être guidé par le principe de subsidiarité. C'est-à-dire que la région est obligée de prendre en compte la politique générale de la nation quand elle fait apparaître ses propres problèmes. Il doit y avoir une dialectique permanente entre la nation et les régions, mais dans un esprit de cohérence, de collaboration et d'équilibre. Si par exemple, il y a une région qui est surdéveloppée et une autre sous-développée, il est normal que la nation rétablisse les équilibres. Par conséquent, c'est la cohérence de l'ensemble qui est le but final. Alors qu'au niveau culturel, ce n'est pas du tout ça. C'est l'incohérence qui est le but, c'est la contradiction. Si nous voulons que Toulouse et Marseille existent, il faut qu'elles disent autre chose que Paris. Il faut qu'il y ait contradiction, qu'il y ait antithèse, il faut qu'il y ait dialogue. Dialogue, ça veut dire désaccord. Dans le domaine culturel, je dis que l'action doit devenir centrifuge, ce qui ne veut pas dire qu'on les détruit, qu'on les fusille, mais il doit y avoir une dialectique d'opposition. Alors que dans le domaine économique, l'action peut rester centripète. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas des apports économiques propres de la périphérie vers le centre. Je pense que c'est à cette condition seulement que renaîtront les capitales occitanes, mais aussi Lyon, Rouen, Lilles, Nantes, Strasbourg… C'est-à-dire quand ces villes auront quelque chose à dire de différent, d'opposé aux autres. Il faut qu'elles entrent en dialogue entre elles, avec Paris et avec les capitales des pays voisins. Il faut qu'elles jouent leur rôle de capitale à part entière, de manière absolument et complètement autonome. Ne dépendant ni des unes, ni des autres, ni de Paris. Tandis que sur un plan économique, on dépend tout de même de Paris, on ne peut pas faire autrement. Et alors, je crois que c'est ça qui est le plus difficile à faire comprendre. Dans le mouvement occitan, on le comprend très difficilement. Les problèmes économiques doivent se régler sur le plan économique et dans la subsidiarité, la convergence, l'harmonie nationale. Les problèmes culturels se situent dans la divergence des capitales. Je pense que sur le plan culturel, nous devons aller vers une nation polycéphale. Alors que sur le plan économique, non. Pour moi, il est plus important de faire apparaître deux choses pour en finir avec le centralisme parisien. Parce que nous ne sommes pas contre Paris. Le centralisme est un système qui lui-même est indépendant de la ville de Paris. C'est un système qui pèse sur la France, une sorte de névrose nationale, qui fait que rien ne fonctionne comme ça devrait fonctionner. Le centralisme est un mécanisme qui écrase tout les autres, c'est l'ennemi de tous, alors que la centralisation, doit être au service de tous. C'est à dire que le centralisme, c'est le contraire de la centralisation. Il est évident qu'il y a un problème de mot qui fait qu'on a du mal à se faire comprendre. A mon avis, ce qui contredit cette féodalité parisienne, c'est d'une part les capitales, ce que j'appelle les contre-capitales, c'est à dire les villes. Combien y'en a t-il ? On peut les compter, elles ne sont pas nombreuses. A peu près une par région. Et puis les cultures des langues différentes. Il faut jouer sur les deux terrains. C'est pour ça que je dis qu'il faut redéfinir la nation en disant qu'elle doit avoir plusieurs capitales et par ailleurs, plusieurs cultures. Elle doit être "politiquement une et culturellement plurielle". Indivisible politiquement et culturellement polycéphale".

Boudiou Records : Ton discours rentre en opposition avec l'héritage de la notion de "nation" depuis la révolution française.

Castan : Il faut jeter ça par-dessus bord. Attention, il ne faut pas détruire la nation, au contraire. Je pense que c'est une erreur absolue de penser que les nations doivent être détruites parce qu'on fait l'Europe. Je pense que c'est idiot, c'est une utopie pure et on ne tirera rien de ça. Mais en revanche, je pense qu'il faut redéfinir la nation. Il faut reconstruire la nation sur une base pluraliste, baroque d'une certaine manière. C'est à dire avec une pluralité de capitales et une pluralité de cultures. Et que ces capitales et ces cultures aient elles mêmes des relations. Alors il y a un pouvoir politique qui coordonne tout ça par ailleurs, sur le plan de l'enseignement, sur le plan de l'équipement… Il y a des responsabilités qui incombent à un pouvoir politique, c'est normal. Mais ce pouvoir politique ne pourra faire face aux problèmes culturels de l'Europe qui sera polyculturelle, si la nation n'accepte pas un polyculturalisme à l'intérieur. Il ne peut pas y avoir un monoculturalisme centralisé à l'intérieur et un polyculturalisme à l'extérieur. C'est contradictoire. Il faut donc repenser la culture. L'Europe nous y incite. Nous qui posions des problèmes à partir de nos problèmes occitans et pour la nation française, il se trouve du fait de la construction de l'Europe et du fait de l'actualité, que les idées que nous agitions comme ça en solitaire pendant cinquante ans, deviennent d'actualité. Ce sont les idées du jour, dont il faut se servir pour faire l'Europe, pour refaire la nation, pour penser tous les problèmes qui sont devant nous.

Boudiou Records : C'est un peu une nouvelle révolution française que tu nous propose ?

Castan : D'un certain côté. La nation française a été construite de manière étriquée, simpliste, unitariste et maintenant, il faut aller plus loin. Attention, il ne faut surtout pas détruire la république ! Il faut au contraire une république plus large. Il faut aller vers le concept total de république. Le concept véritable, utile et complet de république, alors qu'on a n'a qu'une république restreinte.

Boudiou Records : Dans ton dernier livre, tu donne une explication écologiste à l'existence de la culture occitane.

Castan : L'écologie, c'est l'habitat. J'habite à Bayeux et bien je pense de Bayeux. C'est de l'écologie, ce n'est pas un régionalisme. Le régionalisme, c'est l'enfermement, l'écologie, c'est habiter face au monde. Je pense que dans la notion d'écologie, il y a une notion forte et qui se substitue à la notion de nationalisme et de régionalisme. Il faut se méfier de ne pas enfermer et rétrécir l'écologie uniquement dans l'écologie politique. Mon objectif, c'est d'avoir une vision beaucoup plus générale de l'écologie qui dépasse le phénomène politique ou même les phénomènes de pollution. Car il y a aussi un phénomène social et matériel. Je crois que c'est l'écologie qui est notre concept de base. Je le dis depuis longtemps ça. Bien avant qu'il y ait un vent écologiste. Et pour des raisons simples, c'est que la littérature d'Oc, la langue d'Oc, la conscience d'Oc, la pensée d'Oc… n'ont pas de support politique. Alors qu'elle est son support ? L'environnement. Elle part de la niche dans laquelle habite l'homme. Elle n'est pas barrée par une nation politique. Donc, elle adhère au monde dans lequel les hommes vivent, à leur habitacle. Donc, c'est une littérature de l'habitacle. Ce n'est pas un régionalisme. Parce qu'un régionalisme, ce n'est jamais que mineur par rapport au centre. Par conséquent, il n'y a pas de dialogue d'égal à égal. Dès qu'il y a une nation, il y a un encadrement mental. Il se trouve que la culture occitane n'a pas de nation. Un breton, il se défini breton, tandis qu'il n'y a pas d'occitan qui se dise occitan. S'il se trouve à l'autre bout du monde et qu'on lui demande "d'où tu es toi ? ", il répondra "je suis de Toulouse, je suis de Provence…" mais "je suis occitan", il ne le dira pas. Tandis que d'autres peuvent dire "je suis français, je suis Corse…". La notion d'Occitanie est récente, et le peuple n'a pas élaboré une conscience nationale. Je ne pense pas que la situation occitane, soit celle d'une nation qui est en train de se constituer et d'émerger. Il n'y a pas de conscience occitane. C'est un peuple qui est dépourvu de toute ambition narcissique. Il ne pense pas pour lui. Mais en revanche, il a pensé la nation au 16ème siècle, mais pour les autres. Une nation pour tous dans laquelle tout le monde pourrait adhérer, une nation pluriculturelle.

Boudiou Records : Ca a été pensé par qui ?

Castan : Il y a un auteur occitan qui s'appel Aber, qui a fait une épopée qui s'appelle "Le gentilhomme Gascon". En fait, c'est l'épopée d'Henri IV. Et alors, Aber dit à un moment que finalement, ce sont les gascons qui ont rétabli le pouvoir royal. Il dit " la Gascogne est la mère de la France". Ce n'est pas la France qui est la mère de la Gascogne. Dans Aber, il y a cette idée extraordinaire que toutes ces nations culturelles, toutes ces cultures, tous ces peuples, de Normandie, de Lorraine… sont les mères de la nation française. Actuellement, si on demande à un français "de la France ou de la Normandie, qui est la mère ?". C'est évident, il répondra "c'est la France qui est la mère" car c'est la bourse. A cette époque là, c'était l'inverse. Pour moi, c'est la grande idée ça. Concevoir la nation pluriculturelle et unique politiquement, pour ceux qui ont décidé de s'entendre, de vivre sous une même loi. Il faut que la France retrouve ça et alors je n'aurai plus de problèmes avec la France. Tout de suite, j'ai un problème avec la France et son centralisme qui nous étouffe. Mais si c'est cette formule qui est choisie, je n'ai plus aucun problème.

Boudiou Records : C'est pour ça que tu es un farouche défenseur du bilinguisme ?

Castan : Les hommes ne sont complets que s'ils sont bilingues. Par conséquent, je ne suis pas contre le français, d'ailleurs, j'écris en français. Les circonstances ont fait que c'est le français qui domine, tant mieux, utilisons le. Car en même temps, nous connaissons une grande littérature, peut-être la plus grande littérature du monde. Bravo ! Que tout le monde soit bilingue, que chacun parle sa langue et que chacun échange avec la langue commune. Par ailleurs, ça doit devenir un idéal d'humanité qu'elle soit bilingue. L'humanité n'est pas complètement humaine tant qu'il y a des monolingues. Le monolinguisme, c'est une situation encore un peu animale. L'humanisation totale, c'est de devenir bilingue. C'est une formation de l'esprit, c'est une élégance. Et quand on est bilingue, on est facilement plurilingue. Et je ne vois d'obstacles à lier des relations, avec personne. Nous pouvons discuter avec l'humanité entière. C'est dans ces démarches que l'humanité prend conscience d'elle-même. On n'a pas besoin de connaître l'humanité tout entière, si on sait être plurilingue, avoir une nation pluriculturelle… Si on sait faire la différence entre l'Etat politique et la pluralité culturelle, et bien on sait ce que c'est que l'humanité sans avoir besoin d'aller voir tout le monde. On fait tous les voyages du monde sans bouger de chez soi. Je suis assez méfiant à l'égard de ceux qui veulent abolir les différences. Attention, je ne suis pas contre le métissage sur un plan biologique. Par contre, je pense qu'il faut que chacun prenne conscience de son identité la plus forte et ensuite, on échange à partir d'identités bien affirmées. Mais abolir les identités, dire "on est tous pareils", ça va contre les lois de l'évolution la plus logique, contre la loi de l'évolution de la pensée. Si tout le monde pense la même chose, la pensée n'évoluera plus. Les échanges doivent permettre de renforcer les identités de chacun.

Boudiou Records : Tu dis qu'un des éléments de la construction des contre-capitales, c'est notamment la langue. Quand elle n'existe presque plus, est-ce qu'il reste encore un espoir ?

Castan : Je ne veux pas parler pour les autres pays que je ne connais pas. Mais pour reprendre l'exemple de l'Occitanie, mon but ce n'est pas de refaire qu'à Toulouse, tout le monde parle occitan. Ce serait absurde. Mais il faut faire en sorte, et alors là, c'est un problème plus culturel que linguistique, que ce qu'apporte la culture occitane, serve de référence pour le mouvement culturel dans son ensemble. C'est à dire qu'on ne va pas demander aux écrivains qui écrivent en français, d'écrire en occitan. Mais qu'ils sachent qu'il y a une culture occitane, et que par conséquent ils deviennent occitans. Il se trouve, que celui qui écrit en occitan, se trouve en général, en un point stratégique de la vie culturelle d'un pays. C'est très curieux ce phénomène. Ce n'est pas un à priori pour moi, c'est une chose que j'ai vérifiée et constatée. Par exemple, j'ai étudié l'œuvre d'un poète du Lot dont je croyais qu'il s'agissait d'un solitaire absolu. Quand on étudiait la manière dont il pensait et que l'on comparait à ce que faisaient les peintres, ce que faisaient les sculpteurs, ce que faisaient les autres écrivains, les sociologues, les acteurs… on s'apercevait que c'était lui qui servait de lien à tout le monde. Tout les autres étaient hétérogènes entre eux et tous avaient un certain rapport avec lui. Il était le centre, sans l'avoir voulu, sans s'en être rendu compte, sans que les autres le sachent. Il se trouvait en un centre géodésique pour ainsi dire, de la vie culturelle de son pays. Il était le point ou l'identité se structurait. Enfin, ça demande à être vérifié, c'est une théorie. Mais ce que je crois, c'est que par leur connaissance du passé et par leur ambition identitaire, les occitans sont capables de poser les problèmes de l'identité d'une ville. Parce que, quel est le problème que va poser la critique qui se forme dans une ville ? Elle va dire "étant donné ce qui se crée dans le théâtre, dans la littérature, dans le cinéma, dans la musique… quelle est l'identité de la ville ?". C'est un problème fondamental. Je crois qu'on ne peut pas bien poser ce problème, si on n'écoute pas parler les occitans. Dans les pays où il n'y a pas vraiment de langues autonomes, il faut peut être penser autrement que dans les autres pays. Ils peuvent, à mon avis, s'appuyer sur ce qui se passe dans les pays qui ont leur langue, mais ils ne peuvent pas avoir exactement la même démarche. Chacun a sa propre stratégie, en Corse, en Occitanie, en Alsace, en Normandie… En réalité, nous avons tous un ennemi propre, c'est le centralisme, mais nous fonctionnons tous différemment. L'essentiel, c'est le concept de France plurielle. Il n'y a pas de recettes. C'est expérimental. Je pense que c'est l'expérience qui aide à trouver le chemin.

Boudiou Records : Prenons l’exemple du Pays du Bessin. La capitale c'est la ville de Bayeux. C'est une ville de 17000 habitants qui est complètement provincialisée. Cette ville se situe à une trentaine de kilomètres de Caen, qui est la capitale régionale et qui est elle-même culturellement victime du centralisme. Donc dans le Bessin, on a affaire à un double centralisme. Celui de Caen par rapport au Bessin et celui de Paris par rapport à la Normandie.

Castan : Ca c'est un problème important que l'on rencontre souvent. Ici, à Montauban, on est à 50 kilomètres de Toulouse, c'est Toulouse qui est le centre. Voilà comment il me semble qu'on peut résoudre le problème. Nous dès que nous avons commencé l'action culturelle sur Montauban, nous nous sommes revendiqués comme étant satellite de Toulouse. Mais par ailleurs, ce que nous faisons, c'est en pleine autonomie. Il faut savoir qu'il y a des systèmes de relation. Un village a un système de relation avec la ville. Un village ne peut exister sans sa ville. C'est à la ville que se trouvent les structures importantes dont le village ne peut se passer. Par conséquent, il y a des articulations qui font que le village est en relation avec sa ville. Ce qui ne veut pas dire que le village n'est pas autonome pour inventer des choses tout seul, mais il doit savoir qu'il est en relation. Il me semble qu'un village ne peut pas se passer de sa ville. Par exemple, il est obligé de savoir ce qu'a été le destin de sa ville, ce que c'est que l'identité de sa ville. Les grands écrivains, les grands peintres, les grands moments historiques se sont produits à la ville. Ca fait partie de l'expérience historique et culturelle des villages environnants et on doit l'enseigner dans les écoles. De la même manière, une ville comme Montauban est en relation avec Toulouse. Cette relation est importante, elle est positive. Toulouse ne peut ignorer ce qui se passe dans les villes et dans les villages. Par ailleurs, Montauban ne peut pas ignorer ce qui a été le destin de Toulouse. A Toulouse par contre, la chaîne s'interrompt car nous somme dans une capitale. Il n'y a plus subsidiarité. Dans une capitale, ce qui est déterminant, c'est l'activité critique. C'est elle qui fonde la capitale, qui crée un développement d'idées et qui permet de rentrer en dialogue avec les autres villes pour échanger des idées. Dés que les idées s'élaborent dans la critique, dés que les critiques se constituent, il y a situation de capitale et un état de capitale. Et la capitale doit être complètement indépendante de Paris. Alors que Montauban dépend de Toulouse. Il peut y avoir une critique venant d'un village, mais il n'y a pas le monde suffisant. Quand j'emploie le verbe dépendre, je ne veux pas dire que l'on est sous tutelle. Ca veut dire qu'on ne peut pas ignorer ce qui se passe à Toulouse. On fait partie d'un faisceau global, dans lequel tout le monde agît sur tout le monde. La critique se fait à Toulouse, mais elle est bénéfique pour tout le monde. Je dis qu'il n'y aura pas de décentralisation réelle tant que l'on n'aura pas établi ces réseaux. Les villages avec à leur service les villes, qui ont elles mêmes à leur service la capitale. Ca ne doit pas être pyramidal dans le sens de subordination. Il doit y avoir réseau. La capitale, elle se défini par son foyer critique. Ca ne peut pas être Montauban, Albi, Rodez, Auch… Elles n'en ont pas les moyens. A mon avis, ce qui défini la capitale c'est la pensée critique. Mais la pensée critique, n'existe que lorsqu'il y a contradiction. Je vois bien qu'à Bordeaux, il y en a qui seraient pas mal, mais ils copient Paris. Ils projettent les critères de Paris sur ce qui se passe à Bordeaux. Alors le problème, c'est de les autonomiser, leur dire "vous allez tirer vos idées et vos critiques de ce qui se crée à Bordeaux et dans les environs, à Agen, dans les Landes… Tirez votre pensée de là et alors à ce moment, vous aurez une pensée fondée sur une réalité créatrice et qui vous donnera le droit de parler en face de Paris, en face de Lyon, en face de toutes les capitales du monde, y compris de Madrid, de Lisbonne, de New York… Pour moi, les petites villes, doivent se débrouiller avec les autres villes pour dire "Eh bien ! Notre capitale c'est Caen. Il faut qu'à Caen, il ait quelque chose car ça nous reviendra. Leurs idées nous retomberont dessus. Il y aura échange entre ce que nous faisons, et ce que eux pensent". C'est à ce moment là que le territoire peut être fécondé en profondeur, dans sa totalité et dans sa pluralité. Je crois que c'est une grande tâche du siècle. Il faut penser à nos capitales, il faut penser à nos cultures. Je dis que tout le monde a sa place.

Boudiou Records : Le problème, c’est que la Normandie a été arbitrairement coupée en deux régions avec chacune une capitale Caen et Rouen.

Castan : Alors ça c’est un exemple très intéressant. Ca entraîne l’idée d’une capitale bicéphale. Là encore, ça peut renforcer le pluralisme à condition que les petits villages, les petites villes ou les villes un peu plus grandes puissent trouver leur place. Chacun trouve sa place comme il l'entend, à condition de trouver sa vraie place. Chaque individu qui habite telle ville, qui habite Bayeux ou qui habite Montauban, son problème c'est de rester en rapport avec sa ou ses capitales et les villages. Moi, j'aime rester en rapport avec les villages environnants. Mais je suis aussi en rapport avec Toulouse. Je suis participant de la vie toulousaine. Je crois que ma propre vie est dépendante non pas seulement de Montauban, mais aussi de Toulouse et des autres villages. Je suis un élément parmi cela. Il me semble qu'il faut que chacun apprenne à ne pas se sentir tributaire, enfermé comme sous une cloche, ni dans son village, ni dans sa ville, ni dans sa capitale. Il ne faut pas que l'endroit d'où l'on est devienne un mythe. Je me suis enraciné à Montauban, mais je n'aime pas Montauban pour autant. Je ne fais pas un mythe de cette ville. Je suis de Montauban et je travaille Montauban. Par ailleurs, je pense qu'une des grandes erreurs que l'on fait quand on parle de décentralisation, c'est de tout faire dépendre des municipalités. Les municipalités c'est mortel. Il faut acquérir une solide indépendance. Actuellement, nous sommes dans une situation que j'appelle néo-centraliste, c'est à dire que la pensée parisienne pénètre partout jusqu'au village en passant par tous les étages. Tandis que si l'on fait comme je le propose, on brisera cette carapace, cette structure mortelle. Mais il faut élaborer des stratégies complexes, des attitudes stratégiques. Voilà comment je vois les choses pour le 21ème siècle. Mais ça, ce sont les jeunes qui le feront. A 80 ans, je reste sur le seuil maintenant.


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