Wednesday, April 14, 2010

Quand Mistral et le F�librige saluaient l'Occitanie par Ive Gourgaud

Ce titre n'est ni un d�lire ni une interpr�tation personnelle, et il n'est certainement pas malveillant : en 1886 para�t � Montpellier (Imprimerie Centrale du Midi) un publication de la Maintenance du Languedoc qui a comme auteur collectif F�librige / Maintenances de Languedoc / d'Aquitaine / et de Provence : on le verra, y est pr�sente la fine fleur du F�librige. Et cet ouvrage porte le titre suivant :

SALUT
� L' OCCITANIE
imit� de Florian
par Fortun� Pin
traduit en cent sept idiomes
la plupart d'origine romane
et publi�
� l'occasion du premier centenaire
de l'abb� Favre

Favre �tant mort en 1783, l'ouvrage fut con�u vers 1883, ce que confirme son Introduction. Il s'agissait, pour les f�libres, de traduire chacun dans son parler un texte fran�ais qui �tait une paraphrase du c�l�bre � Salut � l'Occitanie � qui ouvre le roman Estelle du c�venol Florian (1755-1794) : � Je te salue, � belle Occitanie... � (page 2 de l'�dition de 1790). Quand je dis � c�l�bre �, je dois nuancer : en 1886, nous dit l'Introduction, il a fallu que ce soient les f�libres c�venols qui fassent observer � leurs confr�res que le texte de Fortun� Pin �tait en r�alit� un calque de celui de Florian. Mais depuis cinquante ou soixante ans, les occitanistes citent r�guli�rement Florian pour nous convaincre de la r�alit� de leur belle Occitanie : nous verrons ici ce qu'il en est de cette � r�alit� �.
Le recueil du F�librige offre donc les diff�rentes traductions (toutes en graphie mistralienne) de f�libres des trois Maintenances de Provence, de Languedoc et d'Aquitaine, ces versions �tant pr�c�d�es d'une assez longue introduction qui en souligne l'int�r�t philologique. Cette publication doit �tre prise au s�rieux : son coordinateur et auteur de l'introduction est le Majoral Berluc-P�russis (1835-1902), qui collabore entre autres � la Revue des Langues Romanes de Montpellier. On consid�rera en cons�quence que les textes et leur graphie ont �t� soigneusement revus et corrig�s avant impression pour donner � cet ouvrage le caract�re philologique dont il se r�clame.
Ces consid�rations pr�liminaires �tablies, je vous livre ce qui ressort de ma lecture du recueil :

1.Je te salue, changeante Occitanie !

Le titre du texte � traduire �tant � Salut � l'Occitanie � et les premiers mots en �tant � Je te salue, belle Occitanie �, l'occasion nous est donn�e de voir comment les f�libres ont traduit cette � Occitanie � fran�aise : passons sans surprise sur la version latine, qui donne OCCITANIA, et avec un amusement non dissimul� sur la version en vieux fran�ais, qui nous livre une OCCITANYE plus vraie que nature, et qui devrait enchanter le Majoral Tennevin.
Restent les versions en lengo nostro, dont la typographie ne permet pas toujours de savoir si le (-i-) de la fin du mot est affubl� ou non d'un accent : dans le doute, j'ai regroup� dans un m�me ensemble les graphies sans tenir compte des signes diacritiques �ventuels (avec une exception que je justifierai). Voici le palmar�s des diverses � Occitanies � qui apparaissent dans les titres ou, entre parenth�ses et en fin de liste, dans le corps des textex :
Oucitanio / Oucitan�o 10 occurrences
Oucitani� 7
Occitanio / Occitan�o 6
Oucitania / Oucitan�a 5
Ouccitanio / Ouccitan�o 4
Occitania 4

Et avec une seule occurrence :
�ucitani�
Oucit�ni
Occitanieo
Ouccitania
Occitagniat
Ossitania
(Occitani�)
(Ocitanio)

Soit la modeste somme de 14 graphies diff�rentes pour le m�me mot !
Consultons le Tr�sor du F�librige, qui para�t � la m�me �poque : il n'enregistre que trois graphies possibles.
La premi�re, �ucitan�o, est donn�e comme forme de r�f�rence pour la langue litt�raire proven�ale, mais il se trouve qu'elle n'appara�t pas dans notre liste de 14 graphies ! Et n'est pas un probl�me de typographie, puisque le � majuscule accentu� appara�t fort bien pour noter �ucitani�, cf. plus haut.
La seconde, �ucitani�, est donn�e comme marseillaise, mais ce n'est pas un marseillais qui l'emploie dans notre recueil ! (voir plus bas).
La troisi�me et derni�re est Ouccitan�o qui est donn�e comme � languedocienne et gasconne � : elle est minoritaire dans notre recueil.
Que retenir de tous ces faits concrets ? Si j'�tais occitaniste, je jubilerais : la graphie mistralienne est juste bonne � �mietter notre belle et unique Langue d'Oc, alors que notre merveilleuse graphie englobante permet d'�crire partout la m�me chose, � savoir la forme latine (pardon : occitane) OCCITANIA.
Mais comme je ne suis pas occitaniste, j'en d�duis pour ma part que le mot � Occitanie � est tellement artificiel et sans aucune r�alit� populaire que les f�libres, malgr� toute leur bonne volont� (on est quand m�me dans un � salut � l'Occitanie �) n'arrivent tout simplement pas � inventer un �quivalent acceptable en vraie langue d'oc, et c'est alors le chacun pour soi et le sauve qui peut g�n�ral. Le mot n'ayant jamais eu la moindre existence dans la langue r�elle, parl�e (celle que connaissent les f�libres), ils sont bien oblig�s de s'inventer une solution phon�tique -et donc graphique- toute personnelle. D'o� l'impressionnante s�rie de 14 graphies diff�rentes repr�sentant (nous sommes en graphie mistralienne, � base phon�tique) 14 prononciations diff�rentes... et ce n'est l� qu'un strict minimum, puisque je rappelle que j'ai regroup� sous la m�me graphie des prononciations diff�rentes selon qu'on prononce la finale (-io) en [-yo] avec [o] accentu� ou en [-io] avec accentu�, etc.
Quant au TDF, on se demande � quoi il a bien pu servir dans ce cas concret : la forme r�f�rentielle n'y appara�t dans aucune traduction ! Et il y a pire : la forme du recueil �ucitani�, que j'avais list�e seule et que TDF signale comme marseillaise... est pr�cis�ment celle qu'emploie Mistral dans sa traduction, qui je le rappelle a valeur de texte t�moin de parlers pr�cis ! Mistral est tellement peu convaincu de la r�alit� de cette � Occitanie � qu'il choisit pour son texte en maillanais une forme qu'il vient de donner lui-m�me dans la � loi des f�libres � comme marseillaise : peut-�tre son go�t av�r� pour la gal�jade � la marseillaise, justement ? En tout cas, le Ma�tre donnant un tel exemple, on ne s'�tonnera pas que les disciples aient produit un peu n'importe quoi et au hasard...
Ajoutons, � titre d'amusante surprise, que si Mistral veut bien saluer une �ucitani�, Aubanel quant � lui salue une Oucitan�o avec un accent graphique tr�s visible sur le (-i-) : qui aurait cru que, d'Avignon � Maillane, on puisse observer de telles diff�rences de prononciation ?? On voit l� le caract�re proprement r�volutionnaire de l'Occitanie : � elle seule, elle bouleverse toutes les donn�es dialectologiques du pays rhodanien.

2.Je te salue, h�sitante Occitanie !

Comme on pouvait s'y attendre au vu de ce qui pr�c�de, certains auteurs sont si peu s�rs de leur � Occitanie � qu'ils vont employer deux formes diff�rentes, l'une dans le titre et l'autre dans le d�but du texte. C'est ainsi qu'on trouve une � Oucitan�o � suivie d'une � Oucitan�a �, dans un texte aux finales atones en [-a] : c'est le titre qui appara�t ici comme un essai malheureux pour trouver une � bonne forme �. On trouve aussi une � Oucitani� � suivie d'une � Occitani� �, ainsi qu'une � Oucitanio � suivie d'une � Ocitanio � (ces deux derni�res graphies mises entre parenth�ses dans notre liste, cf. plus haut). Remarquons que deux de ces trois h�sitants sont ou seront Majoraux du F�librige : l'abb� Pascal et Plauchud. Tout ceci, �videmment, ne fait qu'ajouter � l'extraordinaire confusion d�j� signal�e.

3.Je te salue, belle Aquitanie !

Encore plus surprenante que l'Occitanye du vieux fran�ais, on trouve, dans le titre et dans le texte d'un proven�al, la forme Aquit�ni , ce qui tendrait � prouver que Mistral n'�tait pas le seul humoriste de la bande ! Plus s�rieusement : un f�libre roven�al, c'est bien naturel, re�oit cette � Occitanie � comme une r�alit� �trang�re, et il va donc la situer g�ographiquement en-dehors de la Provence. Pourquoi pas en Aquitaine ? C'est assez �loign� pour conf�rer au mot � Occitanie � ce caract�re de pays fabuleux, entre Arcadie et Atlantide...

4.Je te salue, belle Languedocie !

D'autres f�libres vont carr�ment mettre les pieds dans le plat : ils savent bien, eux, que cette � Occitanie � qu'ils nous proposent en titre n'est pas la Provence, ni l'Aquitaine, alors ils vont le faire savoir dans leur texte tr�s clairement, et proposer, en guise de � Salut �, une explication de titre.
C'est ainsi qu'un f�libre des Basses-Alpes, Isidore Long, sous son titre � � l'Occitan�o � commence son texte par un � Salut ! b�u Lenguedoc � qui se passe de commentaire. Quant au propre coordinateur du projet, le Majoral Berluc, il a pris en charge la traduction de deux parlers proven�aux distincts :
Sous le titre � � l'Oucitani� �, on lit : � Te sal�dou, o b�u pa�s de dela Rose ! �, et sous le titre � � l'Oucit�ni � on lit : � Te salude, o b�u pe�s de dela Rose ! �
On le voit, il devient de plus en plus clair que les f�libres proven�aux, � l'�poque, n'employaient le mot � Occitanie � que pour d�signer le Languedoc.

5.D�j�, dans l'Introduction

Le Majoral Berluc, qu'on vient de voir si d�cid� � montrer que l'appellation � Occitanie � ne concerne que le Languedoc, avait tr�s clairement affich� les intentions du F�librige � ce sujet, puisqu'on peut lire dans son Introduction les phrases suivantes qui justifient le titre du recueil dans un sens qui certes va d�plaire � nos occitanistes :
� Il y a quelque vingt ans, dans une r�union du Congr�s scientifique de France, tenue � Aix et � laquelle assistaient mille adh�rents, un Languedocien, le baron de Larcy, disait :
� /.http://sempreprovenco.multiply.com/ J'entendais chanter dans ma jeunesse : � O superbe Provence, � fi�re Occitanie !... � Ces deux grandes provinces du Midi sont en effet deux soeurs, anim�es du m�me esprit, ayant les m�mes int�r�ts � d�fendre /.http://sempreprovenco.multiply.com/ �
Cette citation est ainsi comment�e par le Majoral Berluc-P�russis :
Proven�aux et Languedociens se sont retrouv�s bient�t, et ensemble ils ont poursuivi l'oeuvre d�centralisatrice affirm�e au Congr�s d'Aix. L'Occitanie a rendu, avec usure, /.http://sempreprovenco.multiply.com/ � sa soeur et voisine, l'accueil qu'elle en avait re�u.
Aussi, le jour o� celui qui �crit ces lignes /donc le Majoral Berluc-P�russis, par ailleurs gendre de Fortun� Pin/ a rencontr� un � Eloge de l'Occitanie �, la pens�e s'est � l'instant pr�sent�e � son esprit, ou plut�t � son coeur, d'en faire hommage � ses confr�res de Montpellier. � (pages 9-10)

6.Ce grand gueusard de Roumanille

On sait que c'est ainsi que Daudet parle affectueusement du p�re du F�librige, � la fin de son Cur� de Cucugnan. Or ce gueusard, dont la traduction suit celles d'Aubanel et de Mistral, ne va-t-il pas pousser l'outrecuidance jusqu'� intituler carr�ment sa traduction :
Au Lengad�
et � commencer son texte par un � Salut, o b�u Lengad� � ?
Le vieux Roumanille donne ici � tous ses confr�res (Mistral y compris, et � nous par la m�me occasion) une bien belle le�on de dignit� linguistique, car pour �tre parfaitement compris, il a pris soin de faire suivre son texte des pr�cisions suivantes :

Parla de St-Roumi�
Avignoun, 29 de nouv�mbre 1884
et surtout de cette note qui explique son refus de faire semblant de croire � la r�alit� � occitane � :
Me demandas aqu�u reviramen /notez ici un sens du mot (� traduction �) qui n'est pas enregistr� dans le TDF/ � en prouven�au di jardin de St-Roumi� tau e quau lou parlavo Peireto de Piquet �.
Vau ac� faire. E si�u segur d'ac� : se Peireto, davans Di�u siegue ! me l'entendi� legi, quand l'aurai escri, me coumprendri� e n'en perdri� pas un degout.
J.R. (page XXXVIII de l'ouvrage)

La le�on est limpide, elle reste d'actualit� : entre l'Occitanie et sa m�re (je veux dire : son parler maternel, son parler naturel), Roumanille a clairement fait son choix, et il se refuse en cons�quence � utiliser un mot (Occitanie, quelle qu'en soit la graphie ou le traitement phon�tique) que sa m�re (qu'un usager normal de la langue) ne pourrait pas comprendre. Je ne crois pas qu'il l'ait fait expr�s, mais traiter cette Occitanie de � degout �, c'est quand m�me tout un programme...


En guise de conclusion

Tout s'�claire donc parfaitement, et le titre (� premi�re vue surprenant voire scandaleux) de la publication de 1886 est tout � fait justifi� : un Majoral proven�al (Berluc-P�russis) rencontre un texte intitul� � Eloge de l'Occitanie � et, par amiti� pour ses confr�res de Montpellier, il d�cide d'en proposer la traduction. Il sait parfaitement que l'Occitanie �voqu�e par ce texte n'est que le nom litt�raire du Languedoc, et que la Provence n'est qu'une � soeur et voisine � de ladite � Occitanie �. Ce que savaient aussi les f�libres-traducteurs, d'o� les nombreuses preuves relev�es dans les divers textes.
Et d'ailleurs ceux qui ont eu acc�s au texte original de Florian savent �galement que cette � Occitanie � qu'il a �voqu�e dans Estelle n'est, elle aussi, que le synonyme de � Languedoc �, ainsi que l'explicite la note 1 de la page 207 : � Le Languedoc ou l'Occitanie, l'une des plus belles... �
Les occitanistes seraient donc bien inspir�s de cesser de mentir en pr�tendant que leur � Occitanie � (� savoir l'ensemble des terres d'oc) a eu comme promoteurs les c�venols Florian et Fabre d'Olivet (celui-ci parlant fort comiquement d' Oscitanie, la patrie des Osques), sans parler du F�librige de Mistral qu'ils s'�vertuent � vouloir faire monter dans une gal�re qui (du moins en 1886) leur �tait parfaitement �trang�re.
Je sais bien que dans son TDF Mistral d�finit ainsi son � �ucitan�o � :
� Occitanie, nom par lequel les lettr�s d�signent quelquefois le Midi de la France et en particulier le Languedoc �,
mais si le Congr�s scientifique dont parle l' Introduction r�unissait mille participants, et qu'ils entendirent ce Languedocien leur parler de l'amiti� entre l'Occitanie-Languedoc et la Provence, on peut se demander combien de � lettr�s �, � l'�poque, d�signaient tout le � midi de la France � par ce nom baroque (et faux) d' Occitanie ? La d�finition de Mistral, m�me entour�e de toutes les restrictions qu'il y met, me semble faire la part bien trop belle au quarteron d'illumin�s qui vers 1880 r�vaient peut-�tre d�j� de l'Occitanie imp�rialiste de nos actuels occitanistes. En tout cas, Mistral et tous les f�libres prouvaient, par ce � Salut � l'Occitanie �, qu'eux n'employaient le mot que dans son sens historique et exclusif de � Languedoc �.
Ce serait v�ritablement un progr�s si les mistraliens qui emploient le mot � Occitanie � dans son sens occitaniste actuel, imp�rialiste et anti-proven�al, voulaient bien revenir aux fondamentaux et au simple souci de la v�rit� historique : ce mot, synonyme de � Languedoc � mais d'origine savante, voire p�dante, sans aucune racine populaire, n'a en fait aucune raison d'�tre employ� puisque � Languedoc � est un mot � la fois officiel et populaire.
Ceux qui appellent � Occitanie � l'ensemble des Pays d'Oc se mettent du c�t� des occitanistes et de leur id�ologie imp�rialiste ; ils s'opposent du coup � la v�rit� historique, ainsi qu' � la pratique des Primadi� telle qu'observ�e ici.

N.B. Le texte �tudi� est consultable sur le site GALLICA de la BNF.

Yves Gourgaud, en C�vennes, janvier 2010

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