Wednesday, February 23, 2011

Adieu à la Corse et aux Corses ? par Jean Guy Talamoni (U Ribombu) | Unità Naziunale

Adieu à la Corse et aux Corses ? par Jean Guy Talamoni (U Ribombu) | Unità Naziunale: "Les appels à « un adieu aux armes » fleurissent dans certaines franges « observatrices ». L’occasion d’une réflexion…

Quand ramassera-t-on les miettes du collaborationisme et de l’opportunisme ? Répondant à cette question, on peut commencer maintenant !

» Nous autres Corses avons la même patrie «

Trente cinq ans après l’émergence de la lutte de libération dans le champ politique et sociétal corse, on peut constater que les courants politiques et intellectuels “bleu blanc rouge”, “républicain” et autre “antinationaliste primaire” sont bien en miettes. Même si la sémantique change, plus personne ne conteste l’existence d’une identité corse à sauvegarder, d’un pays à affirmer, d’un sentiment national, ou patriotique à valoriser. D’ailleurs “l’usu corsu” d’avant Aleria en avait bien conscience puisque dans les amicales, dans des réunions électorales, les porte paroles s’adressaient bien à leur public en disant “chers compatriotes”.

Nous autres Corses avons la même patrie. Et nous savons qu’il faut la tenir debout et rénovée, face à la fausse économie de la villa pour riche retraité, face à l’aplatissement culturel mondial, face à la marée capitaliste qui monte comme un cheval au galop. Face à tout ça, on se retrouve entre compatriotes et on est bien obligé de faire les mêmes constats, voir d’avoir des propositions minimales communes ou approchantes. La droite battue se veut “corsiste”. L’attelage de gauche vainqueur a parfois des relents autonomistes. Les mouvements nationalistes atteignent en 2010 un score historique malgré des listes électorales illégitimes.

Observons maintenant quelques marqueurs dans la société corse. L’ouvrage « Tempi fà » fait un carton. Notre musique se renouvelle, on chante le pop-rock en corse. On célèbre “ A festa di a nazione” dans les écoles. A Carghjese aussi. Sans que d’anciens militaires ne brandissent “ l’étendard sanglant élevé” contre les “dangereux séparatistes”. Le courant CFR (Corse française et républicaine, voyez , il faut même remémorer la signification de ce sigle aux plus jeunes) est terminé, les Corses en danger ne peuvent se payer le luxe d’un tel conflit corso-corse. Les collaborationistes ont complètement désarmé. Même si on peut observer certaines réminisences pathétiques dans l’intervention d’un François Tati contre les questions en langue corse à l’Assemblée de Corse, ou dans celle de la FCPE contre l’enseignement de la langue et culture corse à l’école.

La France n’a pas été capable … de faire acter quelques spécificités dans les traités européens…

La génération crispée, omnubilée par sa vision d’une France maternelle et protectrice a passé la main. La France a elle aussi changé. Elle n’offre plus ses cohortes de places de douaniers, de policiers et de militaires, ou d’ouvriers à l’arsenal de Toulon. « Ci vole à mughje a francia » disaient certains vieux clanistes. « Avà c’hè pocu latte à munghje, e pupulle so biote ». Entre temps la France ne nous a pas aidé, elle n’a pas été capable de nous construire quelques kilomètres de quatres-voies, ou de faire acter quelques spécificités dans les traités européens, alors que tous les autres Etats membres l’ont fait pour les particularités de leurs régions ou nations historiques. Entre temps aussi, malheureusement, des logiques d’argent, de pouvoir, et de violence privée ont proliféré. Et des familles sont dans le malheur, dans la peur, dans le doute, et pire encore. Et il y a des orphelins à qui il faudra parler.

Pendant les années de montée en puissance du nationalisme corse, la société bougeait très fort, et bien des hommes et des femmes de bonne volonté ont accompagné le mouvement. Certains opportunistes l’ont fait, devenant professeur de corse, journaliste, artiste, chef entreprise. Ils le sont devenus parce qu’ils avaient des talents, mais aussi et surtout parce qu’il y avait une lutte. Et des années de prison à la clef. Et des enfants qui fréquentent les parloirs à qui il faut parler.

Cette lutte a connu des dévoiements conjoncturels dramatiques. A ce moment, certains de ces “opportunistes” hurlèrent avec les bourreaux historiques du peuple corse : l’intelligensia française, son appareil d’Etat, ses décideurs. D’autres firent du mieux qu’ils purent. Le vocable “opportuniste “ est utilisé ici dans ces lignes sans animosité personnelle . Cet “accompagnement” est une constante de toutes les luttes dans le monde, il ouvre les voies à certaines promotions et reconnaissances sociales. Ce n’est pas mauvais en soi.

Mais de nos jours, après la refondation du courant patriotique, l’embellie du néo-autonomisme et la validation d’une grande part de notre corpus politique dans le corps social, chez certains de ces accompagnateurs, la rengaine revient de plus belle. C’est presque une injonction :

« Déposez les armes ! »

On vous le demande. Pas parce que vous avez torts, chers résistants , comme on le proclamait quand on vous le demandait dans les années 80, mais parce que vous avez raison !

Ainsi voila ce que disait un édito du JDC en décembre :

« Quand ramassera-t-on les miettes du nationalisme ? Une telle question, il y a seulement dix ans, aurait fait hurler. Aujourd’hui elle est à peine dérangeante. Est-ce à dire que les hérauts de L’Autre Corse ont remisé leurs oriflammes ? Que les vagues des combattants se réduisent au clapot ? Que les maîtres à penser sont partis sans laisser d’adresse et que les chefs cherchent désespérément à rameuter leurs troupes avec des promesses qu’ils ne sont plus sûrs de pouvoir tenir ? (…)Aujourd’hui, plombé par des décennies de violence clandestine et de divers dévoiements, le nationalisme corse peine à trouver une nouvelle voie, celle qui, tout en assurant sa survie, pourrait le conduire au tremplin indispensable à de nouveaux élans. Les autonomistes du PNC, le parti de la Nation Corse, et de Inseme per a Corsica tentent de s’y engager.

Oui, mais les clandestins se sont pas de cet avis et veulent poursuivre leur chemin vers on ne sait quelle destination. Ils ne sont donc pas près de faire un spectaculaire adieu aux armes. »

Tous les patriotes demandent, eux, que la France dominatrice dépose ses armes, les vraies, celles qui peuvent tuer un peuple…

Il est pourtant évident que les résistants vivent en Corse, en Europe et dans le monde moderne. Ils savent que le succès des idées peut permettre de repositionner les “armes”. Et tous les patriotes demandent, eux, que la France dominatrice désarme. Qu’elle dépose ses armes, les vraies, celles qui peuvent tuer un peuple. Qu’elle reconnaisse ce peuple et cette langue officiellement et qu’elle nous donne le droit de faire nos lois. Le voila le tremplin.

Une autre observation sur la » légitimité des armes » est intervenue en début d’année dans une interview à 24 ore de Gilles Simeoni, coleader de Femu a Corsica. Selon, lui sa mouvance peut se prévaloir de la légitimité du FLNC. » Plus que Corsica Libera « , dit-il. Bigre.

Le FLNC est un mouvement qui a plus de trente ans, qui a traversé des générations et qui a structuré la pensée et la pratique politique en Corse. Il a drainé des centaines de personnes, d’anonymes, de « sans grades », de militants courageux. C’est un mouvement vivant, à l’image de la société corse. Etre donc un « ancien » du FLNC ne donne pas une légitimité « historique » spécifique, il n’y a pas de distribution de cartes de « membre honoraire ». Sans rentrer dans les questions d’itinéraires personnels, il est exact qu’autour de Gilles Simeoni se trouvent des anciens du FLNC en situation d’abjuration par rapport à l’utilisation de la résistance armée actuellement.

C’est un choix qui se respecte, dont il faut prendre acte. La « clandestinité », eux n’y croient plus. En tout cas, ils militent dans une organisation qui la rejette. Pourtant depuis le temps où eux la pratiquaient, aucune avancée politique n’a permis d’éliminer les raisons qui ont motivé leur engagement de l’époque. Notre langue n’est pas officielle, le peuple corse n’est pas reconnu politiquement, nous n’avons pas même une vague autonomie politique. Pour le Peuple corse, c’est même pire que dans les décennies passées : économiquement, avec les forces du marché, et démographiquement avec les migrations.

Chacun est libre de faire son chemin, de dire au revoir ou adieu aux armes, de passer à d’autres choses, de réfléchir. Mais la légitimité reste celle des combats quotidiens, dans le respect de la place de chacun.

« Adieu aux armes ». Oui. Mais sans jamais dire adieu à la Corse et aux Corses.

Jean-Guy TALAMONI

(Article paru dans le journal « U Ribombu »)

www.corsicalibera.org

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