Monday, February 28, 2011

Atlantico : Pourquoi le Quai d’Orsay n’a rien vu venir au Moyen-Orient ? Gérard de Villiers

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Atlantico : Pourquoi le Quai d’Orsay n’a rien vu venir au Moyen-Orient ?
Gérard de Villiers : Il y a deux choses. Les représentations officielles d’une part, et la DGSE. A Tunis comme à Tripoli, la DGSE avait un poste actif. Ce n’est pas que les deux n’ont rien vu venir, mais que les consignes politiques étaient de ne rien voir !
En Tunisie Ben Ali était considéré comme un allié, un intouchable. Si un service ou un diplomate disait la vérité dans ses notes, elle s’arrêtait au secrétariat du Quai d’Orsay ou à la Direction Générale de la DGSE. En fait, les professionnels, diplomates ou gens du Renseignement, sont tétanisés parce qu’ils ne veulent pas avoir de problèmes avec leurs supérieurs. ils disent donc que tout va bien en faisant de l’auto censure.
Les services secrets, la DGSE en particulier, ne sont-ils pas plutôt mal renseignés ?
En Tunisie, le précédent chef de poste de la DGSE était un type tout à fait valable, qui en voulait, et il avait commencé à prendre quelques contacts avec l’opposition, ce qui pour un service de renseignement est quand même le B.A.-BA. Or, les Tunisiens l’ont appris, et ils ont exigé son expulsion car ils étaient furieux. Le gouvernement français a accepté, cela s’est passé il ya quelques mois, en 2009.  Vous pensez bien que le chef de poste suivant a fait profil bas et a dit « tout va bien » sans prendre d’initiative ! Ben Ali était une vache sacrée pour la France, donc intouchable pour les services chargés de renseigner… la France.
En Libye, vous connaissez la dernière gaffe ? On évacue ce week-end tous les personnels de l’ambassade de France, aussi bien les diplomates, que le poste de la DGSE. Même si comme en Tunisie, on leur a donné des consignes de ne pas faire de zèle, ils avaient quand même des yeux et des oreilles. Cela veut dire qu’au moment le plus critique, du basculement du pays dans l’inconnu, la France sera sourde et aveugle !
En Libye, les intérêts de la France seront représentés par l’ambassade de Russie…
C’est d’autant plus incroyable que les Français n’étaient pas menacés, il n’y a pas eu un seul Français menacé, mais on a eu des liens tellement complexes avec Kadhafi depuis 30 ans, que l’on a préféré mettre le couvercle sur la marmite, ne rien voir, ne rien savoir.
Nicolas Sarkozy a bien tort de se plaindre de la qualité du travail de ses ministères, que ce soit le quai d’Orsay ou le ministère de la Défense dont dépend la DGSE. C’est le gouvernement qui a donné des consignes de ne rien faire, et si on leur dit de ne rien faire il ne font rien, évidemment ! Difficile de s’en plaindre…
Là-bas, nous ne sommes pas en bon termes avec les Américains, avec les Anglais non plus, car on a des intérêts divergeants dans la région, pour le pétrole, pour les contrats d’armements ou d’infrastructures, alors qu’au contraire nous avons là-bas de bons contacts avec la Russie, et eux vont rester car ils n’ont pas d’intérêts à partir en plein chaos. Tout cela ne va pas au-delà des questions de consulat [NDLR : démarches administratives], mais c’est le symbole que la France n’a plus beaucoup d’amis là bas, et cela doit bien amuser les Russes quand même…
Est ce que ces révolutions sont aussi spontanées qu’elles en ont l’air ?
En tout cas, le fait qu’il n’y ait nulle part d’opposition structurée est plutôt le signe que ces mouvements sont spontanés. On donne toujours comme exemple le renversement du Shah d’Iran, mais dans  tout ces pays-là, il n’y a pas de gens qui se sont vraiment battus longtemps, comme Khomeiny en Iran. Même en Libye, personne ne sait comment cela va évoluer. Les gens qui parcourent les rues en criant « c’est la liberté ! » n’ont pas de chef. Enfin la Libye ressemble beaucoup à l’Afghanistan, avec un régime tribal. Le pays pourrait exploser et un chaos à l’afghane s’installer.
Par ailleurs, vous n’avez pas remarqué la prudence des Américains ? Les Européens ont proposé une interdiction du survol de la Libye ce week-end à l’ONU, ce que les Américains ont aussitôt refusé parlant d’acte de guerre. Nous sommes dans une situation à fronts renversés par rapport à des épisodes récents. Les Américains se contentent vraiment d’être observateurs là où les Européens commencent à se poser la question d’une action. Il n’y a qu’en Egypte que les Américains ont pesé sur l’armée pour lui faire lâcher du lest : c’est le prix du chèque annuel de 3 milliards par an envoyé par Washington à l’armée égyptienne, qui leur permettait jusqu’ici d’acheter une certaine stabilité dans la région. Enfin en Tunisie, ils ont moins pesé qu’on ne l’a dit.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Giraud

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